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Seiyoucha

12 mai 2008

Thé et aikido - Irimi

Dans mon premier texte sur les liens que je fais entre ma pratique du thé et celle de l'aikido, j'avais commencé à réfléchir sur les principes du thé transposés dans le cadre de l'aikido. Je vous propose aujourd'hui la démarche inverse, à savoir quel éclairage l'aikido donne à ma recherche sur la voie du thé. Je compte alterner ainsi entre les deux, traduisant les allers-retours incessants que je fais entre mes deux pratiques.

De même que je suis tout débutant sur la voie du thé, je suis encore très jeune aussi en aikido. Je demande donc à mon lecteur de prendre ce texte comme les réflexions de quelqu'un qui est encore loin de pouvoir dire qu'il a compris. J'espère toutefois que ce point de vue ne sera pas totalement dénué d'intérêt, et je serai heureux de lire vos commentaires, qui certainement m'apprendrons beaucoup.

Irimi est au coeur de l'aikido. C'est l'action d'entrer directement, de s'engager pour rétablir la situation. On entre irimi au moment où nait l'attaque du partenaire.

Irimi est une manière directe, pleine de yang, de rétablir l'harmonie à l'instant même où l'attaquant la rompt. Allant droit à l'essentiel, irimi demande une perception du rythme. Irimi est encore prise d'initiative, établissement de son propre rythme sur celui du partenaire.

Un bon irimi doit être une évidence, et on peut le retrouver dans la salle de thé. Tori entre avec toute son âme, et ne montre aucune ouverture. De même, lorsque je suis teishu (hôte d'une réunion de thé) et que j'entre dans la salle de thé, je fait aussi irimi. J'essaie alors d'avoir un déplacement ferme, sans aucune hésitation, et sans précipitation non plus. Il y a quelques mois, lors d'un keiko chez mon professeur, je rentrais dans la pièce de thé en comptant mentalement mes pas. 1, 2, 3, je tourne, 4, 5. Et mon professeur de me reprendre aussitôt : non, non ! vous êtes déjà mort. Au troisième pas, on voit déjà que vous préparez le tournant pour le 4e pas. Il faut entrer tout droit sans trahir votre intention !
Instantanément, son explication me fait penser à celle de mon professeur d'aikido sur les entrées ura sur shomen uchi (sur une frappe directe à la tête, on entre profondément dans le dos du partenaire). Il faut entrer profondément, tout droit, sans anticiper sur la technique qui va suivre. A partir de l'entrée, on doit pouvoir à volonté appliquer ushiro kiri otoshi, irimi nage, kote gaeshi, ikkyo ura... ou simplement continuer son chemin sans se préoccuper davantage de l'attaque qui n'a, finalement, pas eu lieu.

Il me semble que irimi est un principe très présent dans le thé. Teishu fait irimi en entrant dans la pièce. L'invitation à manger les gâteaux, "okashi o dôzo", est aussi irimi. Et quand l'invité indique que l'hôte peut ranger, c'est encore irimi. Un engagement ferme, sans hésitation, allant directement de coeur à coeur.

Saotome sensei utilise volontier l'expression japonaise "kami hitoe" : l'épaisseur d'une feuille de papier. Un irimi juste, c'est celui qui permet de se placer à l'endroit précis où l'attaque est hors de portée. Si on se déplace trop loin, le partenaire n'attaque pas, ou suis le déplacement et frappe. Si on ne se déplace pas assez, l'attaque porte. Dans les deux cas, tori est mort. L'emplacement exact a l'épaisseur d'une feuille de papier : c'est là où l'attaque est portée mais meure sans toucher. Irimi est la maîtrise de l'espace-temps, du ma-ai.

Là encore, on retrouve irimi dans le thé. Chaque personne, chaque objet a sa place précise. Si l'objet est placé à côté, ne serait-ce que d'une maille de tatami, tous les gestes deviennent imprécis, perdent de leur élégance et surtout de leur efficacité. Pire, dans certains cas on risque l'accident. Là encore le pratiquant du thé manifeste profondément irimi : il doit immédiatement ressentir la place juste de chaque objet, et l'atteindre du premier coup, sans hésitation et sans précipitation non plus.

Sen no Rikyu sama avait une telle maîtrise de l'espace qu'il était capable de positionner un clou avec une précision extrème. Un jour qu'il guidait un de ses assistants pour choisir l'emplacement d'un clou destiné à suspendre un vase dans le tokonoma, l'assistant eu l'impression de le maître exagérait de précision. Il marqua imperceptiblement l'emplacement choisi, et fit tomber le clou. Rikyu sama recommença à le guider, et finit par lui donner l'ordre de planter le clou à l'endroit précis qu'il avait décidé la première fois. Quel sens d'irimi !

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12 mai 2008

Quatre mois ont passé...

Je n'ai pas touché à ce blog depuis maintenant 4 mois.

Quatre longs mois qui sont passés très vite, car j'ai eu beaucoup de travail et je n'ai pas arrêté de courir. Ma pratique du thé en a malheureusement souffert. Mais quatre mois où je n'ai pour autant pas arrêté de penser à ce blog, avec beaucoup de questions qui restent sans réponses. J'ai l'impression de m'être lancé dans une tâche pour laquelle je ne suis pas prêt. Je ne fait encore qu'effleurer la voie du thé, et j'aurais la prétention d'écrire dessus... Quelle arrogance !

Mais j'ai pourtant l'impression qu'écrire des textes sur ce blog m'aide à avancer. Etudier le thé n'est pas le pratiquer, mais j'ai besoin de mettre des mots sur ce que je ressens. Et si je n'ai presque pas pu suivre les cours ces quatre derniers mois, j'ai quand même conservé une activité sur le thé : j'ai aménagé un peu mieux pas pièce de thé qui, sans encore être un véritable chashitsu, m'a tout de même permis de faire deux invitations déjà, pour des amis. Pas un vrai chaji, je serais bien incapable d'en mener un pour l'instant, mais quelque chose s'en rapprochant, avec un repas léger suivi d'un bol de thé.
Cela m'a permis de réaliser que mon projet pour ma pièce de thé n'allait pas du tout : je prévoyais un espace de 2 tatamis, espace que je savais petit mais qui me permettait d'avoir la meilleure orientation pour la pièce. Hors c'est beaucoup trop petit ! L'ambiance y est trop intime : cela peut convenir avec des amis proches, mais il sera impossible de recevoir des gens que je connais moins. Et aussi bien l'hôte que l'invité doivent être très expérimenté, car il y a énormément d'adaptations à faire par rapport à la pièce de 4 tatamis et demi. N'ayant pas cette expérience, je me suis rendu à l'évidence : il me faut une pièce plus grande. J'ai donc revu mon projet et réorganisé complètement la pièce pour avoir un espace de 3 tatamis, dans lequel je me sens déjà plus à l'aise. J'aurai aussi un vrai tokonoma, par contre mon mizuya devra être minimaliste, car je ne peux pas repousser les murs de l'immeuble.

J'ai aussi fait une tentative de nôdate, dont je vous parlerai une autre fois...

Je compte revenir de temps en temps sur ce blog, publier un peu, mais j'ai revu mon programme à la baisse. Je renonce à certains sujets que je voulais aborder, et surtout je serai moins régulier. Mais il va reprendre vie, ça c'est sûr. Je commence aujourd'hui avec un nouveau texte sur les liens que je fais entre ma pratique du thé et celle de l'aikido.

13 janvier 2008

Hitoire du thé - 3 - de Kamakura à Muromachi : vers un rituel profane

Si Eisai a rapporté de Chine la consommation du thé en poudre, il ne le destinait qu'à un usage pharmaceutique : la saveur amère du thé était supposée bénéfique pour le coeur. Selon la maladie du patient, le thé était préparé plus ou moins fort : le Cha Lu rapporte que quand le patient a besoin d'une forte dose, on dilue beaucoup de thé dans peu d'eau, pour obtenir une sorte de pâte. Au contre, si le patient n'a besoin que d'une dose légère, on dilue peu de thé dans beaucoup d'eau. Dans ce dernier cas, le battage crée un mousse qui se dissipe rapidement.

L'introduction du thé dans les rites monastiques, d'où il fut repris pas les classes dirigeantes à des fins de divertissement, peut être attribuée à Myôe, disciple et ami de Eisai.

Myôe et Dôgen : les débuts du rituel

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L'entrée du Kôzanji

Myôe Shônin (明恵上人, 1173-1232, aussi appelé Kôben) est un moine bouddhiste à l'origine Shingon, mais resté célèbre en tant qu'abbé du Kôzanji pour avoir revivifié l'école Kegon (Avatamska), un des principaux courants du bouddhisme de l’époque Nara.
Ayant étudié le Zen auprès de Eisai, Myôe en appris aussi à préparer le thé en poudre. Il est d'ailleurs à l'origine des jardins de Toganoo, puis de Yamashiro (Uji). Il introduisit la consommation du thé dans les monastères bouddhistes pour lutter contre les trois poisons de la méditation assise : la somnolence, les idées futiles et la posture de méditation incorrecte. Il était persuadé qu’aucun mérite ne pouvait être gagné tant que ne seraient pas éliminés ces trois poisons, même en pratiquant dur pendant des mois.

Le thé suffisant à éliminer la somnolence, Myôe en encouragea la consommation auprès des moines. C’est ainsi que la technique de préparation du thé en poudre se répandit non seulement parmi la secte Zen, mais aussi auprès des moines Kegon et Ritsu.

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Dôgen

Les premières règles formelles concernant l'usage du thé sont l'oeuvre de Dôgen (1200-1253), le fondateur de l'école Zen Soto.

Revenant de Chine, il a ramené avec lui beaucoup d'ustensiles de thé. Afin de d'établir la discipline dans son temple, le Eiheiji (préfecture de Fukui), il promulgua un texte de règles (shingi) : le Eihei Shingi, incluant des offrandes quotidiennes de thé à Bouddha. Les règles concernant le thé (sarei) sont parfois des procédures très détaillées, et constituent les premiers rituels (temae) liés au thé. Ces procédures peuvent aujourd’hui encore être observées au temple Kenninji à Kyôto, lors du service en mémoire de Eisai qui a lieu chaque année en avril, ou encore au temple Myôshinji, toujours à Kyôto.

L'adoption par les guerriers et le jeu de tôcha

Durant toute la période Kamakura, les moines japonais consomment le thé comme c'est l'usage en Chine, tous ensemble. Ce rituel développe un sentiment de groupe entre les participants. Il semble avoir séduit les guerriers, qui trouvaient assez proche la rigueur d'un monastère et celle d'un camp militaire.

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Un petit jardin de thé
au Kôzanji, à Toganoo
Image © Ad Blankestijn
Tous droits réservés

Petit à petit s'instaura parmi les guerriers et les aristocrates la pratique du tôcha, un jeu de dégustation à l'aveugle. Il s'agit de goûter plusieurs bols de thé afin de reconnaître le seul qui soit du "vrai thé" (honcha), c'est à dire du thé en provenance de Toganoo, les autres régions ne produisant que du "hicha" (non-thé). La production d'Uji ne prendra le premier rang qu'à la période Muromachi.

A cette époque, du thé était produit à travers tout le Japon. Outre la production de Toganoo, on trouvait en seconde catégorie Uji, Ninnaji, Daigo, Hamuro, Hannyaji, Jinnoji. La troisième catégorie regroupe les autres centres de production : Takarao (province de Yamato), Hattori (Iga), Kawai (Ise), Kiyomi (Suruga) ou encore Kawagoe (Musashino).

Les séances de tocha avaient lieu à l'étage d'un pavillon de thé, dans une pièce appelée kissa-no-tei. L'hôte de la réunion s'appelle déjà teishu, nom qu'il a conservé jusqu'à nos jours.

Au cours des séances de tôcha, il est vraisemblable que l'usage était de faire circuler le bol entre tous les participants. En effet, des registres conservent la trace de séances de 60 participants, goûtant 15 thé différents. Cela ferait alors plus de 900 bols à préparer ! Cetta pratique de bol commun s'est conservée jusqu'à aujourd'hui dans le rituel du koicha.

Les offrandes rituelles de thé

La pratique des offrandes de thé semble remonter à Eison, moine du 13e siècle ayant rétabli la renommée du temple Saidaiji à Nara. En 1262, il vint à Kamakura sur l’invitation de Hojo Sanetomo. Pendant le voyage, il pratiquait des cérémonies bouddhistes pour ceux qui lui demandaient, et offrait du thé à l’assistance à cette occasion comme médicament de longue vie.

Ochamori
Offrande Ochamori
au Saidaiji
Image © LovelyHoneyBee
Tous droits réservés

En 1281, lors de la tentative d’invasion mongole, alors que Eison priait Hachiman dans le sanctuaire qui lui est dédié au sein du Saidaiji, la neige se mit à tomber. Prenant cela comme un bon présage, Eison fit une offrande de thé dans le sanctuaire. Le thé restant fut préparé dans un grand récipient et offert à l’assistance, initiant ainsi la pratique du Ôchamori, toujours pratiqué aujourd’hui en avril de chaque année. A l’origine une offrance en prière à Hachiman, c’est aujourd’hui la plus ancienne tradition de service du thé au public.


Ogasawara Sadamune et l'étiquette

Ogasawara Sadamune (1294-1350), descendant à la 16e génération de l'empereur Seiwa (au sein du clan Seiwa Genji, par les branches Minamoto, Takeda et Kagami) était un allié du shogun Ashikaga Takauji, premier shogun de l'ère Muromachi. En remerciement d'avoir contribué à élever son cousin sur le trône impérial, Takauji le nomma responsable de l'étiquette au sein de la Maison shogunale. Il est donc le fondateur de l'école d'étiquette Ogasawara-ryû, dont le premier ouvrage écrit sera rédigé par son arrière petit-fils Nagahide (1366-1424) : le Sangi Itto (Les trois arts ne font qu'un).

Loin d'être une préoccupation mineure, l'étiquette était vue comme l'une des trois discipline que devait maîtriser un guerrier, avec l'équitation et le tir à l'arc. L'école Ogasawara, qui semble être l'origine de toute l'étiquette japonaise, existe toujours de nos jours (Ogasawara ryû reihô), et est l'une des deux école de yabusame (tir à l'arc à cheval) avec la Takeda ryû.

Sadamune ayant reçu l'enseignement de Dôgen, il s'appuya sur les règles des temples zen pour établir une étiquette profane, à destination des guerriers laïcs. Ces règles étaient à peu près complètes à l'ère Kitayama, pendant la période Muromachi. Elaborées pour la société des guerriers, elles encadraient toutes les situations de la vie, aussi bien l'accueil d'un visiteur que les déplacements au service de la noblesse.

La famille Ogasawara restera très influente jusqu'à nos jours dans les milieus cultivés (y compris le milieu du thé), et adaptera ses règles à l'apparition de nouvelles situations sociales. Ainsi, elle donnera entre autres naissance au 18e siècle à une école de senchadô (thé infusé).


Nôami et les premiers temae laïcs

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Kinkakuji

Le règne du shogun Ashikaga Yoshimitsu est une période de grande production culturelle, appelée période Kitayama, datée de la construction du Kinkakuji (Pavillon d'or) en 1397 jusqu'à la fin du règne de Yoshimitsu en 1441. Ce dernier encouragea les arts, et notamment le théatre Nô et la poésie renga. Il prit à son service des conseillers culturels : les dôbôshû. A l'origine simples conservateurs des collections shogunales, ces derniers prirent progressivement le rôle de conseiller culturel et artistiques et acquirent ainsi une grande influence.

Parmi ces derniers, on retiendra Nôami (Nakao Shinnô Saneyoshi, 1397-1471). Vassal de la famille Asakura (province d'Echizen), peintre et poête, il entra au service du shogun Ashikaga Yoshinori (1394-1441) en tant que dôbôshû, et resta au service de ses fils Yoshikatsu puis Yoshimasa.

Ginkakuji
Ginkakuji

Le règne du shogun Ashikaga Yoshimasa (1435-1490, r. 1449-1473), second fils de Yoshinori, est une période de renouveau culturel, cherchant à égaler la période Kitayama : c'est la période Higashiyama (du nom du lieu où sera construit le Ginkakuji). C'est à cette époque qu'apparait le nouveau style architectural shôin pour les pièces de réception, plus intime que le style précédent (le style shinden), et caractérisé par ses sols de tatami et ses éléments appelés collectivement zashikikazari : son alcôve (oshi-ita, l'ancètre du tokonoma), son étagère asymétrique (chigaidana) et son bureau de lecture adossé à la fenêtre (tsukeshôin).

Cette période atteindra ses sommets avec la construction en 1483 par Yoshimasa du Ginkakuji (Pavillon d'argent), rivalisant avec le Kinkakuji de son grand-père. Destiné à être un lieu de recueillement pour le shogun retiré, il deviendra à sa mort un temple zen, le Jishôji. La construction du Ginkakuji restera inachevée à la mort de Yoshimasa en 1490, et seuls deux bâtiments de l'époque restent aujourd'hui : le Ginkaku, qui sert de temple de Kannon, et le Tôgudô.

Ginkakuji Togudo
Tôgudô

Ce dernier, un bâtiment carré un peu moins 7 mètres de côté, était destiné à être la "chapelle" bouddhiste privée de Yoshimasa (jibutsudô). Il est composé de quatre pièces, dont une appelée Dôjinsai : c'est la plus ancienne pièce de thé connue de 4 tatamis et demi (yojohan), dans le style shôin. Cette pièce de thé existe encore aujourd'hui, et est restée conforme à sa disposition de l'époque.

On suppose que Nôami, en tant que dôbôshû, est l'auteur du Kundaikan Sôchôki, catalogue des objets d'art du shogun Yoshinori. Il créa en tout cas le rituel shôin no daisu kazari, utilisant l'étagère daisu dans une pièce de style shôin. Le daisu lui-même est à l'origine un élément du rituel de thé des temples zen. Le temae de Nôami s'inspire de l'étiquette Ogasawara, mais aussi du théatre Nô, en particulier pour les déplacements. Son style sera développé par son fils Geiami puis son petit fils Sôami, et reste connu sous le nom de style Higashiyama.

A cette époque, les hommes de thé n'ont pas de tenue imposée. Le plus souvent, l'hôte adopte la tenue formelle de l'époque : les moines portent le jittoku et les nobles une tenue de cérémonie. Les participants portaient donc la tenue correspondant à leur rang.

Jusqu'à Nôami, le thé était préparé hors de la salle de réception, et apporté par des maîtres de thé appelés chatô. C'est probablement du temps de Yoshimasa que l'on commença à préparer le thé dans un coin de la pièce de réception, l'hôte décidant parfois de préparer lui-même le thé. C'est aussi à cette époque que remonte l'utilisation d'un mizusashi comme récipient à eau froide (un simple seau était utilisé auparavent, ce qui est toujours possible de nos jours). C'est aussi de cette époque que remonte l'usage de consommer le thé épais, koicha, qui était la préparation "normale" du thé, puis le thé léger usucha.

En matière d'ustensiles, l'utilisation de pots à thé en céramique (chaire) est attestée au même titre que les pots laqués (natsume ou autres types). Les bols étaient des tenmoku d'origine chinoise (karamono), puis des imitations provenant de Seto commencèrent à être utilisées. Certains historiens considèrent que l'on utilisait les céramiques karamono (tenmoku, chaire...) pour servir ses invités, alors que l'on réservait les ustensiles plus simples (Seto, pots laqués...) pour sa famille et ses proches. 

A la fin de la période Higashiyama, on relève deux hommes de thé ayant joué un rôle important dans la transmission.

Sanjônishi Sanekata, courtisan contemporain de Noami, fréquentait le shogun Ashikaga Yoshimasa. Il construisit en 1502 un pavillon de thé de 4 tatamis 1/2, dans le style shôin. Passionné de thé, il finit sa vie dans une pauvreté extrême. Il a laissé un journal transcrivant ses vissicitudes, dans lequel on a la trace de ses relations avec Jukô et son père.

Ukyô, un page de Nôami, reçu une formation au thé du style Higashiyama. Il finit par renoncer à la vie mondaine, et se retira à Sakai sous le nom de Kûkai. Il y rencontra l'ermite (inja) Dôchin, à qui il transmit ses connaissances sur le thé et les règles d'utilisation du daisu.

 

7 janvier 2008

Aikido and chado - Wa : harmony

As many of my visitors are English-speaking, I decided to translate some of my texts in English for them. If you want me to translate another text, please ask me. I will start with my series about tea and aikido, as they are writen for an american friend...

connexion
La connexion est maintenue
entre deux techniques...
© AikidoPatrice.com
Patrice Reuschlé, 4e dan
Emmanuelle Leroux, 2e dan

Aikido and chado - Wa : harmony

Harmony (wa) is this ideal relationship between human beings which the chajin tries to establish. The tea room (chashitsu) is his favorite place to search for harmony, but his real goal is to find harmony in all the situations of life.

In western countries, aikido people usually translate the japanese character "ai" by "harmony". In fact, this "ai" is more the harmonious encounter, the ability to harmonize one's behaviour and attitude to those of the partner (uke). In a sense, we can say that ai is a dimension, a component of wa. I would say, in this regard, that aikido as well as chanoyu only mean something because of the underlying relationships: from this point of view, a solitary practice would have no meaning.

As Saotome sensei explains (Aikido and the harmony of nature, p. 243 of the American edition):

"There are no individual kata in Aikido, for Aiki is the harmony of relationships. On the Aikido mat you will find people of different social backgrounds and status, different cultures and languages, different political and religious philosophies. They are coming together not to compete, not to press their own ideas on someone else, but to learn to listen to each other, to communicate through Aikido "skinship". On the mat, we cannot hide our true selves. We show our weaknesses as well as our strengths, we sweat together, face stress together, help each other, and we learn to trust. [...] We are individuals, but we are a part of each other. [...] This is harmony."

If the quest for harmonious relationships is altogether rich by itself, it is only a stage in the quest for a more universal harmony. The further one advances, the chado student becomes more and more aware of the natural rythms which sourround them: rythm of the fire which heats water, rythm of the gestures of temae, rythms of the sun along days and seasons, rythm of the breathing of his partners... This sensitivity to rythms enables one to be aware of everything arround them, to adapt fluently to circumstances. The aikido student pays attention to everything that is going on around him, not only to his partner. This is the meaning of shiho nage: to face the four directions at the same time. Just as well as the chajin adapts to the unexpected: he keeps an umbrella ready even in sunny weather.

OSensei used to teach that in aikido, he made one with the Universe.Saotome sensei illustrates in the quoted book how aikido techniques use just the same rythms as one can find in nature: koshi nage is the wave breaking on a reef, ikkyo omote is the ebb of the tide on the beach... From their initial encounter, there is a connection between to aikido partners, which they keep as long as they work together, technique after technique. Just the same as a connection is established between host and guests (and between guests themselves) from the welcome at the machiai or the roji door to the end of the chaji, when people try to keep this relation as long as possible even after guests have left the chashitsu. This connection, in aikido as well as in chado, is made from heart to heart (kokoro e kokoro kara, I would say in my poor Japanese), and needs no words.

The further one is aware of this harmony with nature, the futher one is feels deeply the evanescence of every thing, the permanency of change, and value each moment for itself. It is just the same in aikido: each technique is unique, born from the meeting of uke and tori, and only exists for this moment. In dribs and drabs, this sensitivity extends to all the domains of life. When practice from the heart, tea as well as aikido lead us to feel this harmony which leads to peace.

5 janvier 2008

Histoire du thé - 2 : l'arrivée du thé au Japon

En 1422, Ichijô Kanera rapporte dans son Kugi Kongen que la consommation de thé par les moines était déjà attestée à l’époque Nara, par le biais d’une cérémonie appelée "incha", ou offrande de thé aux prêtres. Cette pratique aurait commencé le 8e jour du 4e mois de 729, à l’occasion de la lecture du Hannya Sutra à la Cour, et aurait eu lieu tous les ans au moins jusqu’en 876. Toutefois, nous n’avons aujourd’hui aucune trace permettant de corroborer le texte de Ichijô Kanera (qui avait certainement des sources. Cette cérémonie est aussi rapportée par le Chakyô Shôtetsu, écrit par Daiten en 1773, qui s’appuyait sur un recueil de poèmes de Fujiwara Kiyosuke publié entre 1124 et 1144.
Ces sources étant postérieures de plusieurs siècles aux événements rapportés, il n’est pas possible de s’appuyer dessus de manière certaine pour attester la consommation de thé à cette époque ancienne.

Les relations officielles du Japon avec la cour des Tang, par l'envoi d'embassades, ont commencé dès 630, et se sont prolongées jusqu'en 894. Il est donc possible que le thé ait été introduit au Japon dès le 7e ou le 8e siècle. Toutefois, la tradition considère Saichô comme ayant ramené le thé au Japon pour la première fois.

Saichô et Kûkai  : l'introduction du thé

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Saichô

Saichô (最澄, 767-822) était un prélat bouddhiste de formation Kegon et Hossô, bénéficiant du soutien personnel de l'empereur Kammu. A ce titre, il fut envoyé en Chine par ce dernier en tant que membre d'une ambassade missionnée en 802 pour y étudier les écritures du Tendai rapportées au Japon quelques dizaines d'année plus tôt. Bloquée à Kyûshû par plusieurs intempéries, l'ambassade ne put finalement quitter le Japon qu'en 804. Pendant ce temps, Saichô s'installa provisoirement au temple Kanzeonji de Dazaifû, alors capitale de la région. Il y fut rejoint par Kûkai, qui venait tout juste d'être ordonné prêtre bouddhiste et allait lui aussi devenir célèbre.

Saichô est revenu de son ambassade en 805, et aurait ramené des graines de théier dans ses bagages. Il fonda la secte Tendai dont il avait appris les enseignements en Chine (au mont Tian Tai). Il établit son centre sur le mont Hiei, où il avait fondé le temple Enryakuji, et planta ses graines de théier à Sakamoto, au pied de la montagne.
Cette version de l'histoire est cependant contestée par certains universitaires. Ainsi, le Hiesha Shintô Himitsuki, cité en 1935 par Takahashi dans son Chadô, rapport que Saichô aurait rapporté de Chine des graines de "tu". Hors si ce caractère signifie parfois le « thé », il désigne souvent des « herbes amères ». Toujours est-il que la plantation de Sakamoto existe toujours aujourd’hui : c'est le plus ancien jardin de thé au Japon.

La plus ancienne référence écrite certaine que l'on ait du thé au Japon est rapportée en 814 dans le Kûkai Hôken Hyô. Kûkai (空海, 774-835 ; aussi connu sous son nom posthume de Kôbô Daishi, 弘法大師) est le patriarche de la secte bouddhiste Shingon. Parti en Chine en 804, dans l'ambassade à laquelle participait Saichô, il en a rapporté deux ans plus tard une grande quantité de livres, peintures et statues, ainsi que la transmission de l'école du bouddhisme ésotérique (Mikkyô).

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Kûkai

Bien que de retour au Japon dès 806, il dû attendre plusieurs années au port de Hakata d'avoir l'autorisation de gagner la capitale. Il y construisit le temple Tôchôji, qui existe toujours aujourd'hui. Convoqué finalement à la capitale en 809 par l'empereur Saga, il est dit que Kûkai lui a offert dix livres, en lui recommandant de les étudier. Pendant sa lecture, il buvait du "cha-no-yu", qu’on pense être de l’eau chaude avec du thé à base de thé en briques, tel qu'on le consommait dans la Chine des Tang.

Après avoir été abbé du temple Tôji à Heian, qui lui avait été confié par l'empereur en 832, Kûkai se retira en 835 sur le mont Koya, qui lui avait été donné par l'empereur en 816 pour y construire le siège de la secte Shingon, et où il mourut à l'âge de 61 ans.

Eichû et l'Empereur Saga

Eichû est lui aussi un moine bouddhiste, abbé du temple Shûfukuji.

Dans le Nippon Koko conservé au Conservatoire Impérial de Nara, il est rapporté que Eichû a préparé du thé pour l’Empereur Saga (嵯峨天皇) en 815, le 22e jour du 4e mois sur les rives du lac Biwa.
Dans le Ruijû Kokushi, un recueil historique de 200 volumes commandé par l’Empereur et achevé en 892, il est rapporté dans les chroniques du règne de l’Empereur Saga pour le 4e mois de l’année 815 : « l’abbé Eichû prépara le thé de ses propres mains et servit l’empereur, qui lui offrit un vêtement. » (rapporté par Sen Sôshitsu XV dans The Japanese Way of Tea).

Il semble que ce thé n’était pas du thé en brique, mais du thé vert proche du sencha actuel, élaboré par Eichû à partir de récoltes du jardin de Sakamoto, créé 9 ans plus tôt par Saichô et qui était florissant en 815 (Tea ceremony, Kaisen Iguchi).

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Empereur Saga,
Lamentation pour
le noble Saichô

L’empereur Saga (786-842 ; r. 809-823) a lui-même laissé de nombreux poèmes mentionnant le thé. Par exemple, lors d’un séjour chez le Grand Général de la Gauche, Fujiwara no Fuyutsugu (775-826), il a composé le poème suivant :

  Pour échapper à la chaleur je suis venu dans cette retraite
  Les cannes à pêche sont posées près du bassin
  Sur ses rives, le vert du saule devient noir dans la lumière qui faiblit
  Le murmure des pins rafraîchit la chaleur du jour
  On ne s’ennuie jamais d’écrire de la poésie ni de savourer les parfums du thé battu
  Quelqu’un nous divertit agréablement avec son luth
  Les eaux claires du bassin lavent nos soucis
  La tranquillité du soir apporte de la joie.

Eisai et le thé en poudre

Jusqu'au 12e siècle, les Japonais préparaient leur thé selon la méthode venue de la Chine des Tang, celle décrite par Lu Yu dans le Chajing, à savoir le thé en brique bouilli avec des arômates. La consommation du thé en poudre, battu dans l'eau chaude, sera introduite par le moine Myôan Eisai (1141-1215), aussi appelé Yôsai, fondateur de la secte bouddhiste Zen Rinzai.

De retour de son second voyage en Chine en 1191, il aurait planté des théiers au temple Senkôji (jardin Fushun), sur l’île Hirado, puis au Tendajiin (selon d’autres version, au Reisenji) au mont Seburi dans la province de Hizen (actuellement Saga et Nagasaki, le Seburizan est à 20km au sud de la ville de Fukuoka). Ces deux jardins existent toujours aujourd’hui.

shofukuji
Shofukuji

En 1195, Minamoto Yoritomo fonde à Hakata (Fukuoka) le Shofukuji, premier temple Zen du Japon, dont Eisai est le premier abbé. Il y aurait aussi planté des graines de thé.

En 1202, Eisai vient à Kyôto fonder le temple Kenninji à la demande de Yoriie, le second shogun du clan Heike. A cette occasion, il donne des graines de thé au moine Myôe Shonin, du temple Kôzanji, à Toganoo (Kyôto). Ce dernier, considéré aujourd’hui comme le « saint patron » du thé, les a planté à Toganoo dans un jardin qui existe toujours. Ces théier ayant fructifié, une autre plantation a été faite à Yamashiro, à Uji. Le récipient utilisé par Eisai pour donner ses graines à Myôe est toujours conservé au Kôzanji à Kyôto : il s’agit du chaire "Ayanokakiheta".

Eisai nous a laissé un commentaire sur le thé, composé en janvier 1211 : le Kissa Yôjôki (Des effets curatifs du thé), qui fait partie aujourd'hui des grands classiques du thé. Dans cet ouvrage, Eisai considère le thé comme un médicament, et recommande son usage comme équivalent à une décoction « aux 5 parfums » : clou de girofle, laurier, aloès, benjoin et musc. D’ailleurs, la première moitié de son ouvrage est centrée sur l’usage du thé, alors que la seconde préconise les décoctions de mûrier.

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4 janvier 2008

Thé et aikido - Wa : l'harmonie

connexion
La connexion est maintenue
entre deux techniques...
© AikidoPatrice.com
Patrice Reuschlé, 4e dan
Emmanuelle Leroux, 2e dan

L'harmonie, wa, est cette relation idéale entre les êtres humains que cherche à établir le pratiquant de la voie du thé. La pièce de thé est un endroit privilégié où rechercher cette harmonie, mais le but profond est de pouvoir retrouver cette harmonie dans toutes les situations de la vie.

Le pratiquant occidental d'aikido traduit généralement le caractère ai par harmonie. En fait, ce ai est plus précisément la rencontre harmonieuse, la capacité à harmoniser son comportement à celui du partenaire. Le ai de l'aikido participe donc du wa du chado. On remarquera que l'aikido aussi bien que le thé n'ont de sens que parce qu'une rencontre s'y établit : la pratique solitaire n'aurait aucun sens.

Saotome sensei explique : "il n'y a pas de kata individuel en aikido, car l'aikido est harmonie des relations. Sur le tatami d'aikido, vous rencontrerez des gens de différentes origines sociales, de différent statut, de différentes cultures et langages, de différentes opinions politiques ou philosophies religieuses. Ils viennent ensemble non pour entrer en compétition, non pour imposer leurs propres idées aux autres, mais pour apprendre à s'écouter les uns les autres, à communiquer à travers l'aikido. Sur le tatami, nous ne pouvons pas cacher notre vrai soi. Nous montrons nos faiblesses comme nos forces. Nous transpirons ensemble, affrontons le stress ensemble, nous nous aidons les uns les autres, et nous apprenons à faire confiance [...] Nous sommes tous des individus, mais nous sommes tous une partie de chacun des autres. [...] Ceci est l'harmonie."

Si la recherche d'une relation harmonieuse est déjà riche en soi, elle n'est qu'une étape dans la recherche d'une harmonie plus universelle. Au fur et à mesure de ses progrès, le pratiquant du thé devient plus sensible aux rythmes naturels qui l'entourent : rythme du feu qui chauffe l'eau, rythme des gestes du temae, rythme des jours et des saisons, rythme de la respiration des partenaires...
Cette sensibilité aux rythmes permet au pratiquant d'être sensible à tout ce qui l'entoure, de s'adapter naturellement aux circonstances. Le pratiquant d'aikido reste attentif à son entourage pendant le déroulement de la technique, c'est typiquement le sens de shihonage. L'amateur de thé s'adapte de même à l'imprévu : il prévoit la pluie.

OSensei exprimait que le pratiquant d'aikido ne fait qu'un avec l'univers. Saotome sensei a illustré comment le pratiquant intègre à ses gestes les rythmes de la natures : ainsi, koshi nage est le rythme de la vague se brisant sur un rocher, ikkyo omote le reflux de la vague sur la plage... Dès la rencontre initiale, une connexion s'établit entre deux partenaires d'aikido, et se maintient tant qu'ils travaillent ensemble, technique après technique. De même, une connexion se crée entre l'hôte et ses invités, entre les invités eux-même, dès l'accueil au machiai. La communication s'établit de coeur à coeur, et se passe de mots.

Au fur et à mesure que le pratiquant ressent cette harmonie avec la nature, il perçoit intimement l'évanescence de toute chose, la permanence du changement, et apprécie chaque instant en lui-même. De même pour le pratiquant d'aikido : chaque technique est unique, nait de la rencontre de uke et de tori et ne vit que dans l'instant. Petit à petit, cette sensibilité s'étend à tous les domaines de la vie. Pratiqués du fond du coeur, le thé comme l'aikido amènent à ressentir profondément cette harmonie créatrice de paix.

4 janvier 2008

Thé et aikido - introduction

Depuis quelques temps, Sweet Persimmon donne des cours de thé dans un dôjô d'aikido, et m'a proposé de rédiger une série de texte rapprochant la pratique de la voie du thé et celle de l'aikidô, puisque je pratique les deux. J'en ai parlé à mon professeur d'aikido, qui m'a dit : "fais-le, ça sera un bon exercice !". En tout cas, l'exercice est pour moi très difficile, car je ne pratique ces deux voies que depuis quelques années et que ne fais que commencer à les découvrir. Je demande donc au lecteur de rester concient que ce texte n'est que le fruit des réflexions d'un débutant, et que je ne prétend apporter aucune réponse définitive sur ce que peuvent être profondément la voie du thé ou celle de l'aiki.

Pour guider mes propos, je me suis fixé comme base de travail de partir des grands principes du chanoyu et de l'aikido, et de réfléchir au sens que prend ce principe dans la pratique de l'autre voie.

4 janvier 2008

Démonstration Sohen-ryû en décembre

Soki
Gilles Sôki Maucout

Toutes mes excuses à mes lecteurs de n'avoir rien publié en décembre... C'est décidément le mois le plus chargé de l'année...

Fin décembre, un ami m'a signalé que le Palais des Congrès avait les 22 et 23 décembre derniers une animation autour du Japon pendant les fêtes de fin d'année, avec démonstrations d'arts traditionnels et ateliers d'artisanat. Parcourant le programme, je lis que les séances de chanoyu sont animées par Gilles Maucout (Sôki ), maître de thé de la tradition Sohen-ryû qui m'avait fait l'amitié de me recevoir il y a près de deux ans (en mai 2006) pour un chaji avec ses élèves (j'avais d'ailleurs été un bien piêtre shôkyaku à l'époque...) Nous n'avions pas eu l'occasion de nous revoir depuis, aussi c'est avec grand plaisir que j'ai enfilé mon plus chaud kimono pour traverser les rigueurs de décembre et aller lui rendre visite en cette occasion, en compagnie de mon professeur d'aikido.

La démonstration de chanoyu est un exercice difficile, dans lequel on cherche à faire ressentir les notions de wa, kei, sei et jaku dans ce qui est supposé être une expérience partagée entre l'hôte et ses invités, alors que bien souvent l'assistance pourrait n'y voir qu'un spectacle (une fois, une visiteuse m'a demandé quelle troupe faisait la démonstration... J'ai eu du mal à lui faire comprendre que ce n'est pas du théatre !). En arrivant sur place, j'ai été impressionné par le courage de Sôki, qui devait se contenter d'un espace en pleine galerie commerciale, bruyant et animé, dans lequel il a malgré tout réussi à créer une bulle de calme et d'harmonie. Vraiment, quel courage d'avoir osé, et quel talent d'avoir réussi.

L'espace était organisé en 3 pôles : sur la droite au fond, une décoration simulant le tokonoma d'une pièce de thé, avec un rouleau calligraphié, une boîte à encens et un fruit de physalis enfermé dans son cocon. Sobre et élégant.

Environ deux mètre devant, une vasque de verre avec des galets au fond et une louche en travers servait de tsukubai : solution simple et élégante.

Sur la gauche, un paravent isolait le mizuya et servait de "toile de fond" à une table utilisée pour le style ryurei (une grande table pour la préparation, et une petite table "en retour" à la droite de l'hôte pour poser le bol et les ustensiles lors du haiken). Une assistante était assise sur un tabouret à gauche de cette table.

L'assistance peut s'assoir sur des sièges disposés face à cette table, deux sièges étant réservés pour les "invités" de la démonstration.

Sôki m'a accueilli avec beaucoup de chaleur, se souvenant parfaitement de moi après si longtemps. La séance précédente venant de se terminer, il nous a invité à boire un thé à la séance suivante. Mon professeur d'aikido ayant aimablement refusé, j'ai été accompagné par une jeune fille d'environ 15 ans pour qui c'était la première expérience de thé.

Pendant que Sôki se préparait dans le mizuya, j'ai été me rincer les mains au tsukubai, observer le tokonoma, puis la table de thé. Y étaient disposés le furo avec une belle bouilloire ancienne, un mizusashi contemporain, de style raku occidental (avec une couverte de couleurs irisées et métalisées), fabriqué sur commande par un ami potier français, et la louche posée sur son futaoki (une pièce de bois surprenante, comme un noeud de petites branches torturées).

Après nous avoir apporté une pâtisserie (du yôkan il me semble), Sôki commence la démonstration, qu'il commente lui-même au fur et à mesure. J'essaie de tenir mon rôle de shôkyaku en faisant honneur à mon professeur, et une fois de plus je n'ai pas été brillant. Avec le bruit ambiant, j'avais du mal à comprendre les dialogues en japonais, et j'ai commencé par mal interpréter sa première phrase : j'ai cru qu'il m'indiquait de manger ma pâtisserie, ce que j'ai fait un peu surpris car je trouvais que c'était bien tôt. J'ai du coup été bien embêté quand j'ai entendu distinctement quelques minutes plus tard, et au moment habituel "okashi o dôzo" ! Sourire gêné de ma part, sourire amusé en retour...

Comme je l'ai dit, Sôki suit le style Sohen ryû. C'est une expérience intéressante d'être invité par une autre école : puisque les seuls repères à notre disposition pour interagir avec l'hôte sont le sens du temae, tout prend une signification, et cela m'aide à comprendre les temae de ma propre école. Outre un choix d'objets splendides, flamboyants, Sôki a des gestes très martiaux : le chashaku est un sabre, la louche devient un arc... Sôki pratique aussi le iaido et le kyûdo, cela se retrouve dans son thé. Une signification des gestes qui n'a d'ailleurs pas échappé à mon professeur d'aikido pourtant profane en matière de thé. L'utilisation du chakin et du fukusa est très différente aussi, plus explicite, moins elliptique qu'en style Urasenke. Tout cela donne un temae d'une grande lisibilité, peut-être plus facilement accessible pour des invités non initiés.

Pour les besoins de la démonstration, Sôki utilise deux bols, un pour chaque invité. J'ai eu un bol de type coréen, et ma "co-invitée" un raku rouge. Bien qu'il s'agisse de thé léger (usucha), Sôki met trois cuiller de thé par bol, ce qui donne quelque chose d'assez fort au final. Il est fouetté avec une mousse épaisse, proche de la manière Urasenke. Et bien sûr, le thé était excellent.

Je ne sais pas si c'est toujours l'usage en Sohen-ryû ou si c'est pour les besoins de la démonstration, mais j'ai constaté que cette fois encore Sôki utilise un autre bol (un hira chawan qui m'a semblé de raku blanc) pour nettoyer ses ustensiles à la fin.
Pour le haiken, il a disposé les ustensiles sur un petit plateau, sur le "retour" de la table, avant de quitter la pièce, puis de nous rejoindre pour répondre à nos questions et discuter un peu avec nous. Son chashaku venait du Japon, mais je n'ai pas réussi à en retenir le nom (j'ai décidément une mémoire plus visuelle qu'auditive, et j'ai toujours énormément de mal à me rappeler le nom d'objets que je visualise très bien). L'usuki était de type nakatsuki, le corps étant encollé de feuilles de cerisier.

J'ai vraiment eu beaucoup de plaisir à participer à cette démonstration. L'usage est de composer un haiku pour exprimer son ressenti. Je suis très mauvais en la matière, aussi de sollicite l'indulgence du lecteur devant les pauvres lignes suivantes :

  Courses de Noël
  Foule, bruit, et au milieu
  Calme et harmonie...
 

29 novembre 2007

Fleurs de gratitude

Cerisier_de_novembre

J'ai commencé lundi dernier à vous parler des démonstrations de chanoyu que nous animons deux fois par semaine au Musée de Sèvres. Ce soir, on m'a offert les fleurs restant de la démonstration pour que je puisse m'entraîner au chabana : une branche de cerisier en bourgeons, une branche de noisetier, une branche de cognassier et quelques feuillages, toutes en provenance du jardin d'un des membres de notre groupe.

En rentrant chez moi, après avoir suspendu mon kimono, je les ai mises dans un vase, sur ma cheminée où elles ornent mon séjour. Puis je me suis préparé une tasse de thé que j'ai bu en me remémorant la journée écoulée.

Lorsque je raccompagne nos visiteurs, je prend toujours soin de les remercier d'être venus, et certains en sont surpris (bien sûr, eux aussi nous remercient de nos efforts). Et pourtant, c'est un profond sentiment de gratitude que j'adresse à ces gens, parfois venus de loin (aujourd'hui, nous avions un groupe venu de Pragues !) et qui passent 45 minutes avec nous. Je ne suis pas encore capable d'organiser mes propres chaji, aussi pour moi ces démonstrations sont une occasion rare de pouvoir offrir à quelqu'un le fruit de mon apprentissage, et aussi de le mettre à l'épreuve !

Lorsque l'on boit un bol de thé, il est d'usage de l'élever devant soi en s'inclinant légèrement, en remerciement pour ce bol. Même quand je me prépare un bol pour moi-même, ce simple geste porte un sens très riche : il s'adresse à tous ceux qui ont participé à la préparation de ce bol : le potier qui a consacré de nombreuses années de travail pour produire cette pièce, le producteur de thé et les négociants sans qui il ne serait pas arrivé jusqu'à moi, mon professeur de thé et mes condisciples, grâce à qui je peux apprendre, mes parents qui m'ont donné la vie... Mais ce soir, mes remerciements s'adressaient surtout aux autres élèves, tous plus avancés que moi, qui participaient à cette démonstration et qui me guident ainsi dans mes lents progrès, ainsi qu'aux gens du musée qui nous ont offert cette possibilité. Du fond du coeur, qu'ils en soient remerciés.

Depuis quelques jours, je suis en contact avec Sweet Persimmon, une américaine qui est professeur de thé et a démarré un blog sur le chanoyu cette année. Elle a très gentiment proposé de m'aider dans mes recherches, et je l'en remercie infiniment. Allez visiter son blog, il respire le thé comme j'aimerais un jour arriver à faire respirer le mien. Elle m'a rapporté une phrase que lui disait Okusama, l'épouse de Hounsai Daisosho, XVe grand-maître de l'école Urasenke : "Aren't we the lucky ones who have had our hearts stolen away by tea ?". N'est-ce pas nous qui avons de la chance, nous dont le thé a volé le coeur ?

Vraiment aujourd'hui, je m'estime très heureux d'avoir commencé à arpenter la voie du thé, qui m'a fait découvrir ce sentiment de profonde gratitude et qui m'emplit le coeur d'une joie paisible.

28 novembre 2007

Satsuma-yaki : 1 - Histoire

Pour commencer la rubrique "yakimono" consacrée à la céramique, je reste sur le thème Satsuma. Cette semaine, je vous propose de parcourir l'histoire de ce style particulier, à l'ornementation colorée et luxueuse.
Satsuma est le nom d'une ancienne province du Japon, au sud de Kyûshû, qui fut réunie avec la province d'Osumi pour former l'actuelle préfecture de Kagoshima.

Les origines 

province_satsuma
Province historique
de Satsuma

Au XVIe siècle, Yoshihiro, 17e dirigeant du clan Shimazu et Daimyo de la province de Satsuma au sud de Kyûshû, revient de la campagne de Corée (1592-1598) en ramenant 80 potiers coréens. Ces derniers établirent des fours à Kagoshima, Kaseda, Kushikino,et Ichiki. A cette époque, les objets coréens étaient tenus en très haute estime par les amateurs de thé, aussi Shimazu espérait-il ainsi améliorer l'économie de sa province.

Pris dans les méandres politiques de la succession de Toyotomi Hideyoshi, Shimazu apporte finalement peu de soutien à ses potiers. Il invite cependant Kim He, le potier coréen le plus apprécié, à établir un four appelé "Uto" près de son château de Chôsa. Kim He produit des bols de qualité, mais ses chaire sont jugés insuffisant. Il est donc envoyé en formation à Seto pendant 5 ans. A son retour en 1608, Yoshihiro s'est établi à Kajiki, aussi Kim He le suit-il et construit un nouveau four, Osato. Il y travaillera pendant 12 ans, jusqu'à la mort de Yoshihiro. Il y a produit aussi bien des bols et des chaire pour le chanoyu que des ustensiles utilitaires, tels que jarres et vases.

SatsumaYaki
Production contemporaine
de Satsuma

Sa production comprend dès le début les prémisses de KuroSatsuma et ShiroSatsuma. Ses chaire à glaçure ferrugineuse (donc sombre) ressemblent au style Oribe ou à la production de Seto. Il utilise généralement plusieurs couches de glaçure noire, brune ou parfois blanche, mais opaque et sèche. Ses production à glaçures claires à base de cendre sont jaune très pâle, et cuites en oxydation. Appelée "habaraki-de", ce qui signifie "seulement cuit", elles étaient vraisemblablement faites à partir d'une argile blanche importée de Corée, dont on a retrouvé des stocks près du four Uto.

Iehisa, le fils de Yoshihiro, établit la capitale du clan à Kagoshima en 1620. le four d'Osato est alors abandonné au profit d'un nouveau four, Tateno. Kim He meurt peu de temps après, mais ses fils prennent la relève. Ils lancent aussi la production de porcelaine dans le style d'Arita, à partir d'argile en provenance d'Izumiyama, près d'Arita.

Le développement du style

En 1620, des potiers découvrent une argile blanche près de Naeshirogawa, au village de Narukawa. La découverte d'argile blanche à Satsuma permet de continuer la production de ShiroSatsuma sans recourir à l'argile coréenne. Le four de Naeshirogawa existe toujours aujourd'hui (village de Miyama).

Ninsei___iroeyoshino
Ninsei
© Fukuoka Art Museum

En 1648, un potier travaillant à Tateno et appelé Wan'emon part se former Kyôto, au four d'Omuro (le four de Nonomura Ninsei, père du style Kyô-yaki). Il en rapporte la technique des émaux polychromes sur couverte, qui permet à Satsuma de commencer à produire des pièces de style "nishiki-e" ("brocart").

En 1667, le four de Ryûmonji est établi. Il utilise une pierre blanche locale dans la composition de sa couverte caractéristique, appelée "dakatsu" (peau de serpent).

La production se développe rapidement, et aboutit à un foisonnement de styles individuels dont certains se sont perpétués jusqu'à nos jours.

A la fin du 17e siècle, on comptera aussi Genryûin et Nishimochidai parmi les principaux centres de production. Au total, on recence 6 fours à Hirasa Sarayama, 1 à Kushikino, 8 à Naeshirogawa, 10 à Kagoshima et 14 au site d'origine, près de Chôsa.

En 1793, Satsuma envoie des potiers dans tout le Japon pour étudier d'autres techniques. Une fois encore, ils ramènent de Kyôto une technique qui va marquer l'avenir de Satsuma : le décor à l'or (kinrande, appris auprès de Kinkôzan Sôbei). Ces techniques sont appliquées sur des grès blancs de Satsuma, puis sur des porcelaines (comme à Arita).

Le développement international

Satsuma_zara

En 1867, le clan Shimazu participe indépendamment du Japon à l'Exposition de Paris, et y présente des céramiques de Satsuma et des porcelaines d'Arita, qui rencontrent un énorme succès en Occident et lancent la mode du japonisme. Les commandes à l'exportation affluent, et Satsuma devient d'un des plus importants centres de céramique d'exportation avec Arita. La plus grande partie de la production partant à l'étranger, le style de Satsuma n'aurant qu'une faible influence sur les autres styles japonais.

Alors que la porcelaine d'Arita était en grande partie expédiée du port d'Imari (qui a donné son nom à cette production), les grès de Satsuma transitent beaucoup par le port de Kobe. Des potiers s'implantent alors à Kobe, puis à Yokohama, pour y produire des pièces de style Satsuma mais fabriquées localement. Kyôto se met à son tour à produire des imitations destinées à l'export, qui prennent le nom de KyôSatsuma.

Aujourd'hui

La production actuelle regroupe un très grand nombre de techniques, avec des potiers implantés un peu partout dans la préfecture de Kagoshima et ailleurs au Japon. Parmi cette production, on distinguera bien sur Satsuma noir, Satsuma blanc et porcelaine, mais aussi six traditions propres aux principaux fours : Katano, Ryumonji, Naeshirogawa, Nishi-mochida, Hirasa, et Tanegashima. Il y a actuellement plus de 200 ateliers de potier en activité dans ce style, employant plus de 450 personnes.

Parmi les artistes les plus connus dans le style Satsuma (à Kagoshima ou ailleurs), on retrouve : Yabu Meizan (Ôsaka), Kinkozan Sôbei (Kyôto), Ryôzan (Kyôto), Taizan (Kyôto), Sôzan, Matsumoto Hôzan, Kôzan, Shizan, Chosyuzan, Yôzan...

Le style

Satsuma_kinrande_chawan
Bol à thé
Style Satsuma kinrande
© Seiyoucha 2007

Le style Satsuma blanc est caractérisé par :

  • sa couleur coquille d'oeuf avec une glaçure transparente craquelée ;
  • sa terre très fine, donnant un grès compact ;
  • son décor très précis mais aussi très chargé, utilisant presque systématiquement l'or en grande quantité. Il associe des formes géométriques abstraites et des illustrations réalistes (fleurs, oiseaux) en motifs ou en scéne réaliste, utilisant couramment la figure humaine dans un style proche de celui des estampes.
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Seiyoucha
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